Carnage dans le lit de Procuste — Elia Tannous ne vend plus son borghol en rottolo

Jad Abdallah
4 min readMay 3, 2019

(Le Flambeur— extrait)

Il m’a tout expliqué Antonio Rouge “Ephram Gardenia t’attend” … “Il va te retrouver ce maquereau devant Snack Abou Charbel”. Gardenia c’est lui le directeur de l’équipe du port…“Tu prends la 13 et c’est bon”. J’ai attendu le numéro 13 devant la station Total. Trois ouvriers Syriens attendaient la 13 aussi. Ils portaient tous des vestes Adidas nylon qui couvraient presque tout le corps. Une jeune monta après nous. Elle allait à la fac la brunette. Je me suis mis à côté d’un autre Syrien. Il tenait une cage de petits lapins. Ils sentaient la crotte ces lapins. Ils faisaient un bruit bizarre des narines. La jeune fille s’est assise devant moi à côté d’une vieille dame. Celle ci portait une croix byzantine en bois. La mignonne avait en main Les fables de La Fontaine et un classeur. Elles sont tendres ces filles qui lisent des fables et des légendes. Elles n’ont pas trop d’attentes. C’est ça leur charme. Il est difficile de les plaquer dans un lit de Procuste ces douces. Elles s’en foutent des apparences les filles qui lisent des fables. Elles mènent une vie lente et tranquille. Au rythme des fables. Elles marchent lentement. De première vue elles sont rubicondes. Mais jamais facilement courtisées. Ce sont elles qui comprennent les limites du mâle très rationnel et un peu con. Elles acceptent stoïquement l’aspect animal de l’espèce humaine. C’est l’instinct qui compte pour elles.

Elle est descendue place Sainte Takla. Elle s’éloignait. D’un pas très lent de princesse phénicienne. Sur le trottoir entre les citronniers et les saules. Elle tenait dans l’autre main la boite de lasagnes préparées par sa maman. L’ouvrier en veste Adidas nylon vint me bloquer la vue. Le connard. Il tua ma fable. La mignonne disparut. Le réfugié de guerre il resta collé lui en pleine figure jusqu’au port.

La secrétaire m’a donné rendez-vous très tôt avec Monsieur Asfoura “Viens à dix pile! Surtout pas plus!” Elle beuglait comme ça à l’autre bout du fil “Monsieur Asfoura va faire les condoléances aux Kirillos! Il a pas le temps tu sais!” Les salopes moi je les détecte grâce à leur voix. Surtout si elles sont grosses. Ça m’emmerde moi les grosses qui s’imposent au téléphone. Les rendez-vous c’est pas mon genre de choses. Ces punitions fracassantes. C’était mon premier rendez-vous dans ma vie. J’ai eu des rendez vous bien sûr. Mais pas de ce type sérieux et constipé. Les choses figées dans le temps c’est pas pour l’homme. L’homme doit bouger. C’est une invention moderne les entretiens. C’est pour cela j’en ai horreur. Je transpirai du cerveau. Elle pouvait me dire la garce de venir vers midi.

Émile le coiffeur ne donnait jamais de rendez-vous lui. “Reviens dans pas très longtemps!” Il disait rien d’autre. “Il me reste deux grosses têtes”. Ils les montraient d’un geste nonchalant les têtes qui attendaient. Une grosse tête c’est dans les trentaines de minutes. Deux grosses têtes c’est un peu plus qu’une heure. En attendant j’avais l’habitude d’aller avaler une glace chez Thérèse. Tout le monde léchait les glaces de Thérèse. On venait admirer les seins de sa fille Mariette. Dès que les mamelles de Mariette avaient bien poussé les clients de Thérèse ont quadruplé. Mariette le savait cette garce. Elle s’inclinait lentement devant le congélateur. Elle prenait son temps. Elle fourrait lentement le cornet avec les deux parfums. Pistache et lait de coco. J’ai mangé la première fois une glace en ville chez Eddy’s en attendant ce cocu Ephram Gardenia. Ça ressemblait plus à une épreuve orale de bac pour choisir sa glace. J’ai découvert que chez Mariette on venait pas pour les gros seins blancs. C’etait plus facile chez la jeune Mariette. Elle te fourre les deux parfums. Tu contemple ses seins. Et tu t’en vas. Moins etait toujours plus pour moi. Le grand choix a tué l’homme libre. Même l’âne de Buridan aurait mieux fait que l’homme de raison.

Il faut bien mesuré et bien compté. Depuis les Jacobins de 1789. À Dieu pied du Roi! Tout le monde est dans un grand lit de Procuste. Ça s’amplifie. Elia Tannous ne vend plus son borghol en rottolo. C’est en kilos qu’on les reçoit. Il veut être précis ce maquereau. Une graine de borghol gaspillée c’est des économies en moins. Ça l’éloigne plus du confort globalisé et ennuyeux. C’est aussi moins de graines de bourghol fourrées au fond de l’estomac de sa femme la bufflonne. La décadence c’est quand Elia Tannous des montagnes de Canaan ressembla pour la premiere fois à un épicier des banlieux de Zurich.

J’étais en retard. Ephram Gardénia n’a pas attendu chez Snack Abou Charbel. Il fallait compter une quinzaine de minutes pour trouver le bâtiment. La secrétaire m’a ouvert. Comme je l’imaginais. Dans ses quarantaines. Fielleuse. “Tant pis alors! Tu dois attendre une bonne heure maintenant”. Je sentais une odeur de foie de volaille chaque fois qu’elle passait devant moi pour répondre au téléphone. Je priais pour que l’Asfoura arrive.

Quand j’entrai dans son bureau, l’Asfoura m’attendais. Il n’y avait pas de têtes de buffles accrochées aux murs. Pas comme j’imaginai. Il n’y avait que lui le Asfoura. Il regardait un documentaire sur les rossignols. Il avait raison Rouge. Il m’a dit que Asfoura à force de regarder ces documentaires il finit par ressembler aux oiseaux. Même si on ignore son nom de famille il est facile de détecter son côté aviaire. Trois petits cheveux décoraient son vaste crâne. Sa chemise tachetée de noir et marron. On dirait un plumage d’oiseau. On se demande s’il va siffler pour communiquer avant qu’il ne parle. “Tu sais conduire une Pontiac manuelle?” Il me lança tout de suite.

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Jad Abdallah

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