Chants Syriaques et coups de revolver

Whaylo wteshbuhtol`olam `olmin

Jad Abdallah
4 min readDec 5, 2020
By Cornell Capa

Lui! Un des leurs! Un “Jaune”. Une sale affaire!

…Je lui ai craché à la figure et le laissa fuir ce cocu. Il fuyait dare-dare. Vers je ne sais pas exactement où. Je m’assis au bord du toit de Sainte Barbara pour absorber une bouffée d’air. Le sang ruisselait de mon bras gauche.. L’encens se propageait dans l’air…

…Les femmes en noir marchaient derrière le cercueil. Elles chantaient en Syriaque. J’écoutais le bruitage des feuilles de platanes entre chaque deux versets. Il courait toujours lui cette fripouille. Comme un chien battu…. On ne l’avait plus revu au village depuis. Fallait-il le finir avec une balle dans son crâne? J’ai hésité. J’ai toujours hésité quand la liberté m’appelait. Un simple tir aurait pu me libérer. Je n’ai jamais tué. Sauf ce mouton d’Edmond. Le petit animal blanc sale venait faire caca devant notre porte chaque matin. Très prévisible. Avec les premières lumières de la journée. Ma grand-mère était trop soucieuse de la propreté . Elle m’ordonna de battre la petite créature touffue espérant que ce mouton ne revienne plus. Elle m’a donné un rouleau à pâtisserie. Le coup était assez fort. Il creva.

…La senteur d’encens enveloppant Sainte Barbara se mêlait avec celles des premières pluies de septembre qui baignent les montagnes imposantes. Ces pluies lèchent les feuilles des genévriers mélangeant mille parfums secs de montagnes. L’encens me rappelle les films Western Spaghettis. Ma grand-mère posait l’encensoir chaque matin de Jeudi et Dimanche devant sa fenêtre. Elle regardait ensuite les films de Clint Eastwood.

… Les femmes en noir cancanaient. Une habitude des funérailles. Fallait pas le laisser fuir. La pensée me fracassait. Après tout ce qu’il a fait le maquereau. Si je dénombre les choses inachevées j’en finirai pas. Je ne suis jamais allé jusqu’au bout. S’arrêtant là à quelques mètres de ce putain de bout. L’église, je la quittai en pleine messe… Quant à Patricia je lui dis au tout dernier moment que je ne me marierai pas. Ce putain de dressoir en bois de chêne je ne l’ai payé qu’a moitié. On m’appelle toujours du magasin pour payer. Pour les études.. je quitta l’école quelques mois avant mon bac. Mais ça, il ne faut pas le regretter. J’ai appris des choses seul. Par moi même. Pathemata Mathemata. A quoi ça sert d’achever les choses si on ignore comment continuer et où partir. Un cercle infernal. Enfant, j’avais des rêves. Devenir avocat. Quelle horreur! On m’invite à un buffet avec des gens que je déteste. Eux me détestent aussi. Utiliser un vocabulaire modéré comme dans les essais d’Amin Maalouf. Les minutes stagnent. Une horreur je te dis. Un cercle infernal. C’est inutile à la longue.

Bref. Je pointa le Manurhin MR73 entre ses sourcilles .. Je luis dis qu’il est désormais mon tour de niquer l’esprit de ses morts. Je ne tira pas. Je lui dis de courir. Ne plus retourner.

Revoir Melita. Sentir son parfum. C’est la seule chose que je veux achever. Lui dire tout ce que mon coeur étouffe. Je ne pouvais la rencontrer qu’à la messe. Elle n’assista à aucune messe depuis la dernière fois. Vendredi Saint. J’ai bien compté. 230 messes. 230 Dimanches. Cinq différents curés de la paroisse. J’attendis 230 fois en vain. 230 hosties avalées… 229 fois écouté Antonio “Rouge” chanter en Syriaque avec la chorale. Oui je dis bien 229 fois… La dernière fois il n’assista pas.. Un Dimanche de Pâques.

J’étais debout à proximité de la grande porte d’église qui était bondée de fidèles. Le visage de Melita était absent du paysage. Père Antoun commença les chants en Syriaque. La chorale répétait après lui. Avec ferveur. La voix d’Antonio ‘Rouge’ ne s’y mêlait pas. Sa voix roque m’est facilement reconnaissable. Tout le monde répétait les paroles de la chorale. Nehwe Sebyonokh Aykano Dbshmayo oph baro! Amin! Amin! Amin! Je scannais la salle moi en espérant la repérer. Repérer son beau ruban blanc en dentelle qui m’a tant privé de sommeil

Bref. La voix de Joseph le boucher interrompu mes réflexions. “Pourquoi tu chantes pas petit salaud?”. “Tu te prends pour qui salaud?” “Jesus est mort et ressuscité et toi tu te prends pour qui sale merde?” Il puait l’Arak et l’ognon et vidait lentement ces paroles dans mon cou. Je ne répondais pas. Tout le monde ignore Joseph le boucher. Un cancaneur futile. Personne ne maudissait Dieu autant que lui. Il blasphémait contre le Saint Esprit et tous les Saints de notre église Levantine. Il faut voir sa tête quand Antonio “Rouge” lui dit que ces saucisses sentent la merde de cheval.

De toute façon, la chorale poursuivait les chants. Avec plus d’exaltation. Amin! Amin! Amin! On entendit tout a coup un fracas provenant de la place de l’église. Tout le monde sursauta. Quelques fidèles poussèrent de petits cris. Le Père Antoun interrompu les prières pour un petit moment avant de poursuive. La peur empêcha quelques fidèles de reprendre après lui. Pendant que des voix reprenaient les chants on entendit un autre fracas. Assourdissant. C’était clair. Un double coup de revolver à l’extérieur de l’église… Ainsi commence mon histoire…

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Jad Abdallah

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