Le Blé ou le Sang!

Jad Abdallah
5 min readJul 26, 2020
(Photo France-Culture)

‘Hotel Grande Bretagne’ — Place Syntagma, Athènes 1999…

Bou Wakim se dirigea calmement vers la salle de jeu. On jouait du Moustaki. “Tiens! Plus fort s’il te plait”. Il donna cent Drachme au serveur. Ils étaient quatre entrain de jouer. “La Taupe”, deux autres grecs et une jeune femme brunette de type méditerranéen. Le Flambeur passait pour un grec tu vois. Ses aïeux se sont mélangés avec les hellénistes il ya deux ou trois milles ans. De temps de Melkart et Heracles. “La Taupe” ricanait.. lui et les deux grecs.. la fille elle, ne disait rien.. elle buvait lentement son Negroni et posait son coude sur le côté de la roulette. Bou Wakim se dirigea lentement vers eux. Le Manurhin bien caché sous son blazer bleu ciel. Il reconnu “La Taupe”. Il ne doit perdre aucune seconde. Il s’assit à sa droite… tranquillement..La fille de l’autre côté. On tourna la roulette. “Tu sais” lui dit le Flambeur. Le sang froid. “Un vrai joueur ne doit jamais fréquenter les casinos tu vois”. “Ah bon! Qui diable es-tu?”. On regardait Le Flambeur avec curiosité et désintérêt en même temps. “Malfono” lui rétorqua Le Flambeur calmement.. “Fils de p..” Le Flambeur ne laissa pas “La Taupe” finir ses mots. Tic. Il sortit son Manurhin. Tac. Il vida une balle dans son crâne. Le vieux tomba entre les bras de la brunette. “Taisez vous et que personne ne bouge fils de putes!” Il se dirigea vers l’ascenseur en laissant son Manurhin pointé contre eux. Demetrius l’attendait, garé rue Panapistimiou. Il conduisit Le Flambeur à l’aéroport…

Mont-Liban — Village des hautes montagne — 1829…

Le Flambeur. C’est ainsi qu’on le surnommait. D’arrière grand-père aux descendants ce surnom lui fut légué. Ça commença en 1829. Noel 1829 pour être précis. Les Ottomans, maîtres du territoire à l’époque, occupaient toute parcelle…de la mer Noire à la mer Rouge… de la Mare Nostrum au golfe Persique. Ils asphyxiaient n’importe quel village lorsque les habitants exhibaient des signes de révolte. Ils s’en foutaient des petits village les ottomans. Ils emmerdaient les gens en augmentant les impôts. Pendant l’hiver glacial de 1829, quelques jours avant Noël, on diminua l’approvisionnement en blé. Sous prétexte qu’il neigeait fort, les caravanes n’ont aucune chance d’arriver au village. Ce village maudit disaient-ils est inaccessible… perché sur l’un des plus hauts sommets du Mont-Liban. Enragés, les habitants se soulevèrent contre l’Empire et brulèrent deux caravanes ottomanes. Bou Wakim envoya Jreij Sahioun, un soldat dhimmi, chez le Kaimakam avec un message bref “Le blé ou le sang”. Quel taré osait provoquer la Sublime Porte? Pour se foutre de lui, le Kaimakam renvoya Sahioun avec un petit sac de blé. “C’est tout ce qu’on peut fournir. Joyeux Noel”. Bou Wakim ne tarda pas a répondre. Il coupa la langue de Sahioun et le renvoya chez son maître le soir même.

Deux jours plus tard les Ottomans encerclèrent le village. Dominants les collines, ils attendaient les ordres pour attaquer le village la nuit. Les habitants du village, Bou Wakim surtout, savent bien qu’il est hors question d’affronter l’ottoman. Dans leur mémoires reste vif le souvenir des atrocités commises dans le village voisin de Kfardabra: quinze homme pendus devant l’église, femmes violées et enfants massacrés, le curé fusillé sur son autel. Les habitants du village voisin de Bghoul n’ont pas prévenu leur voisins de l’arrivée des ottomans. Il est même probable qu’ils ont facilité leur entrée en les laissant traverser les champs de Bghoul.

On racontait qu’au moins deux-cent soldats ottomans attendaient la nuit pour attaquer. Bou Wakim envoya Roufeyel le fou à Bghoul pour répandre une rumeur. “Les Français se cachent chez nous! Les Français sont là! Que le Vali aille se faire foutre!”. Il courait d’une maison à l’autre en criant. On riait de lui et lui jetaient de petites pierres. Quel idiot allait croire une telle rumeur! Pis. Elle provient d’un retardé mental. Les Français étaient occupés par leurs crises politiques. Charles X ne se souciait que d’une seule chose: consolider son pouvoir. Les révolutionnaires menaçaient la monarchie et le pouvoir des Bourbons. Pas question de se mêler de problèmes insignifiants. Un monde si lointain et un petit village qui n’existe ni sur la carte ni dans les annales des grandes puissances. Un village oublié entre montagnes et vallées. Enfoui sous une épaisse couche de neige.

La neige et le temps glacial n’empêchaient pas les cavaliers de se frayer un chemin qui mène vers le centre du village. En fait ces petits chemins étaient utilisés souvent par les soldats de l’empire pour approvisionner les troupes du haut Jurd. Quelques instants après le crépuscule, le chien de Roufeyel aboya. Premier signal d’attaque. Les cloches de Saint Mema et Saint Georges retentirent dans le centre du village. La mort arrive. Ceux qui habitaient sur la plus haute colline du village entendirent les hennissements des chevaux. Le bruitage de leur trots signalait l’arrivée des ottomans aux entrées du village. Ils s’approchaient lentement et à pas sûr. Plus le bruit devenait fort plus les habitants imploraient la Vierge et les Saints pour intervenir. Ils s’approchaient. LEs chandelles s’éteignirent l’une après l’autre. Les Ottomans étaient presque là.. une dizaine de mètres les séparaient de la première maison du village…

Soudain on entendit de l’autre côté de la montagne une avalanche de beuglements. Un tourbillon. Une force inouïe qui vient s’emparer de chaque pierre. Plus de cinquante hommes armés de fusils et de torches dégringolaient vers le village. Voyant que les ottomans attaquaient de tout côté, les uns cachèrent leurs enfants dans les cèdres et les genévriers . Les autres tentèrent la fuite. La providence voulait autre chose. On vit brusquement les ottomans se retirer du village sous les ordres du commandant. Ils fuirent vers Bghoul. On comprit bien qu’on les attaquait du côté Nord. “Les Français sont là!” disaient les-uns. “La vierge envoya ses combattants!” disaient les autres. Les cloches des églises chantèrent victoire.

Le lendemain on apprit l’histoire. Ni Français ni soldats de Marie. Il y avait un seul homme derrière tout cela. Un seul homme qui élabora ce stratagème. Cet homme fut Bou Wakim. En voyant les ottomans s’approcher il déchaîna vingts petits taureaux dans les champs de pins. A leur cornes furent attachés des sarments qu’il mit à feu. Se dispersant dans toute direction au milieu de la forêt, les taureaux semèrent la terreur dans le camp ottoman. Ils les prirent pour des soldats français. Ne voulant pas les affronter, ils se retirèrent dare-dare vers Bghoul. Cette ruse inspirée d’Hannibal Barca sauva le village. Le commandant punique, grand stratagème et ennemi juré de Rome joua Fabius, général Romain très rusé. En pleine territoire Italien, Hannibal de Carthage sauva son armée sans que celle-ci eût souffert. Et depuis, aucun Romain ne campa en plaine devant Hannibal.

Deux jours après cette mise en scène, trois caravanes bourrées de blé arrivèrent au village. La veille de Noël 1829, Bou Wakim fut surnommé Flambeur. Il légua son surnom au dernier descendant…

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Jad Abdallah

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