Vendetta, match de foot ou crise entre Fédéralistes et Orientalistes?

Jad Abdallah
8 min readJan 11, 2021

extrait, non édité du roman “Le Flambeur” — Fiction historique rédigée en Français et en Libanais

Une querelle entre fédéralistes et orientalistes ce matin finit dans le sang. Les uns souhaitant remodeler le pays espérant une existence plus digne pour les minorités en danger de disparition. Les autres moins créatifs, plus sombres, n’épargnent aucun effort pour annexer un pays méditerranéen à des structures arabo-perses hideuses. Notre village avait un penchant fédéraliste. D’ailleurs comme chaque village de ce côté de montagnes rocheuses. Non je ne veux pas dire qu’ils admettent ouvertement qu’ils le sont. C’est une inclination naturelle chez eux. La façon de vivre, de manger, de penser au futur de leurs petits, d’exprimer des craintes, de rêver la nuit et tous ces machins. Mais aussi comme partout il existait des arrivistes mais aussi des gens pauvres qui tiraient profit d’une alliance avec les orientalistes.

Une affiche “Gloria Libani Data Est Ei” fut suspendue au-dessus de la boulangerie de Giscard Salloum à l’entrée du village. À côté, un drapeau de l’Argentine qui jouait la finale contre l’Allemagne le soir même.

À vrai dire, ces querelles étaient rarement de nature politique. Le plus fervent des orientalistes s’en branlait de tout ce courant d’alliances. Il ne s’intéressait, tout comme son voisin fédéraliste qu’à sa lavasse de café turc, son Brylcreem et le show de Maguy Farah en soirée, surtout quand elle parle horoscopes. Dans notre village on faisait affaire plutôt à des vendettas, du sang qu’on estime pas encore lavé, des intérêts personnels et surtout l’obsession du pouvoir. Les principes quant à eux se faisaient de plus en plus rare.

Ces querelles sont d’origine peu récente. Elles fulminèrent massivement vers 1840–1842. Les Ottomans versaient habilement de l’huile sur le feu. Un des villages voisins du nom de Baaloun se pliait au joug de n’importe quel occupant. Qu’il soit d’Est ou d’Ouest. Un village d’ouvriers surtout. Ils venaient travailler dans notre village. Avec les années ils s’y installèrent. En Mars 1840 les choses prirent une tournure sanguinaire. Une bataille farouche éclata entre notre village et les Osmanlis aidés par les Baalounites. Wékim remporta la bataille. Sur la même colline il édifia une croix en bois de quelques mètres de hauteur. Une de ces nuits un petit groupe d’ouvriers Baalounites remontèrent la colline jusqu’à la croix. Ils la tournèrent vers Baaloun situé sur la colline d’en face. Le lendemain le fils de Wékim, furieux, rétablit les choses. Quelques nuits après cet incident , on retrouva deux têtes de chèvres égorgées sous la croix. Un geste provocateur réveillant d’anciennes querelles. Wékim dit à son fils qu’il faut jouer sa peau dans de telles situations. Ce dernier, plus tenace que son père envoya Roufeyel le fou à Baaloun avec une lettre de trois lignes: “Que l’homme le plus puissant de Baaloun me retrouve sous la croix pour un duel. Et que celui qui gagne décide du sort de la croix. Mais si je gagne et on tourne encore le visage du Seigneur la nik rabb Baaloun.” Wékim fils remporta le duel. Les Ottomans cherchaient à étouffer les tendances souverainistes du clan des Wékim. Les tueries et les vengeances explosèrent entre différents clans. Avec le temps Baaloun devint un des quartiers de notre village. Ces anciennes querelles pesaient toujours sur les consciences. Elles peuvent renaitre après un match de foot ou de boxing, lors d’un baptême ou une fête de mariage. Des incidents de nature politique viennent facilement les masquer.

Je me faufilais en classe par la petite porte arrière. L’armée encerclait le côté sud du quartier. J’étais en retard. Mes bottes fourrées de boue sentaient le crottin de veaux. Pis, mon pull me piquait le cou. Personne ne me vit autre que Patricia. Le prof demandait à haute voix ce que signifiait le mot Phénicien Kwn. On l’écoutait pas le pauvre. On l’écoutait jamais. Surtout lorsqu’il parle des Phéniciens. Tout le monde fixait ses chaussettes. Il portait, depuis pas très longtemps, une paire de couleurs différentes. Il avait des crises d’oubli récemment le pauvre. On pariait sur la couleur des chaussettes du lendemain. J’y participais pas même si je risquais d’être pris pour un boutonneux grosse-tête. Je savais qu’il traversait des temps difficiles. Antonio Rouge remporta tous les paris. 75$ en deux semaines et deux Sandwichs de chez Falefel Bou Francis. Bou Francis n’avait rien à foutre lui dit de dégager. Nous sommes quite maintenant mon fils lui dit-il avec amusement. La mère de Rouge était passée la veille chez Bou Francis, bouffa deux sandwiches et se tapa une canette d’Almaza. Elle ne paya que la boisson puis dégringola dans la rue comme une roue de camion. La vache.

Après les cours, j’attendis que les haines dans la rue se dissipent un peu. Labib Le Maigre m’attendait pour un tour Arez ou Chakhtour*. On pariait sur les stickers de footballeurs. J’avais mon paquet. Les mauvaises photos. Labib les bonnes. Surtout celles de Jurgen Klinsmann et Diego Maradona. Il les pillaient chez Thérèse l’épicière. Quelques semaines avant la coupe on la pillait tous les trois. Lui, moi et Rouge. Labib distrayait sa nièce aux petits seins pointus. Moi je distrayais Thérèse et Rouge fourrait les paquets de stickers dans son géant slip blanc. On arrêta de la voler la pauvre après le deuxième match. Elle eût cette grosse tumeur dans son crane et creva le lendemain. Le temps que sa nièce eut réouvert l’épicerie quarante jours plus tard la coupe fut déjà du passé. Le Flambeur m’avait averti souvent de rester loin des jeux de hasard. On n’apprend rien me dit-il. Richard Saydeh n’a rien apprit lui. Il avait des millions et a tout vu s’évaporer au belot. Il se soûlait la gueule et battait sa femme. Il vendit toute sa bijouterie la pauvre. Mais aussi la croix en or blanc de sa fille qu’on venait de la lui offrir pour sa communion. Et voilà ce que le Flambeur n’aimait pas. Les prises de risque ridicules. Ce n’est que dans la vraie vie qu’on fait les bonnes erreurs me lança le Flambeur. Les erreurs à la Yogi Berra qui admit avec fierté We did too many of the wrong mistakes et qui devint ensuite une légende.

Je vis le Maigre de loin. Il m’attendait. Ses grosses lunettes reflètent une lumière s’étalant sur une centaine de mètres. Labib est efflanqué puisqu’il est toujours en colère et parle trop vite. A chaque fois qu’il s’explosait il se bigornait avec quelqu’un et battu dix fois sur dix.

Il était assis sur la haute pierre de l’église Saint-Georges. Cette masse rocheuse est tout ce qu’il restait de l’antique temple phénicien sur lequel fut érigé Saint-Georges. On voit toujours les lettres phéniciennes 𐤌𐤋𐤊 𐤒𐤓𐤕 désignant le temple dédié à Melkart qui signifie dans notre langue locale Melk L’ard ou bien Roi de la Terre. Ils en ont construit plein de ces temples les phéniciens. Même chez ces hellénistes de Thasos où il recherchaient la princesse phénicienne Europa.

-T’as les photos sur toi? Lui demandai-je

-Oui Oui ils sont avec moi! Ce n’est pas pour un dîner romantique que je viens te voir!

-Bon. Descends pour commencer.

-Non c’est toi qui montes.

-Arrête de faire la petite salope Maigre. Descends.

-T’as une pièce de monnaie?

-Non! toi?

-Je t’aurais pas demandé si j’en avais. Hahayyyy. Antonio Rouge me les as arrachées. Il m’a tout pris ce chien. On peut essayer avec le bouchon de Pepsi!

-Non non! C’est truqué ça! Ecoutes. Ecoutes moi. Y aura un tas dans l’église. Si quelqu’un arrives tu tousses! Et à haute voix!

Une fois à l’intérieur je cherchais l’assiette de pognon. Labib toussa.

-Y a quelqu’un? Lui lançais je hâtivement

-Non non continues! C’est un vrai toux! Il fait froid!

-Abrutis de maigre!

-Viens viens c’est bon. J’ai trouvé une pièce là dans la petite chapelle!

Je sortis et on se mit par terre adossés au mur de l’église.

-Aller! Tiens la pièce et lance la!

-Non mais avant. Je l’interrompis. Mettons nous d’accord. Pour trois cèdres successives tu me files Maradona et Klinsmann.

Il m’interrompit comme d’habitude pour protester. L’eau coulait de son crane. Je poursuivis.

-Pour un seul bateau sur les trois lancers je te files tout ce que j’ai sur moi. Je lui montrai mon gros paquet de joueurs coréens, camerounais et égyptiens.

-Ok ok c’est bon! Voyons! Aller lance ce putain de métal. J’étouffe. Lance le!

-Jure de tenir ta parole

-Je jure sur l’âme de mon grand-père Labib!

-Jure devant Saint Georges et mets ta main sur le mur de l’église.

-Que Saint Georges me fauche la langue si je mens!

Je lançai la pièce en l’air. Elle tournait et flottait dans l’air. On la regardait Labib et moi. Il avait de petits yeux et voyait mal le Maigre. D’un côté est gravé un cèdre. Le cèdre qu’a défendu mes ancêtres et ceux de Labib Le Maigre contre Mamelouks, Osmanlis et Syriens. Et avec lequel nos ancêtres bâtirent les légendaires navires et garnirent les palais d’Assurbanipal. De l’autre côté est gravé le navire phénicien qui emporta l’arrière grand-père du Flambeur à travers des vagues en rage pour trouver de nouveaux marchés d’étain et construire des colonies partout en Méditerranée.

La pièce atterrit entre les bottes sales de Labib. Il s’inclina en approchant sa tête du métal. Il y colla son nez pour distinguer le cèdre du bateau. Son ventre émettait des gargouillements. Le premier résultat fut un cèdre. Le second aussi. Labib transpirait abondamment avant le dernier coup. Il fit le signe de la croix une dizaine de fois en quelques secondes et respirait mal. En repérant le cèdre Labib sauva ses jambes. Il sauta de la falaise de béton et prit la petite allée vers le quartier des Croisés. Je fis mi-tour et glissai entre les arbres du jardin de Richard Saydeh. Je connaissais bien le petit quartier. Je surpris Labib en pleine figure. Je lui arrachai les stickers de Maradona et Klinsmann et rentrai chez moi. “Chien! Fils de chien! Menteur! C’était un bateau! Un bateau!Eben charmouta**” Il criait de loin et sautait comme ça tout seul.

La radio de ma grand-mère diffusait les chants de la chaine “Saint Esprit”. Je cherchai mon catalogue de foot caché sous mon matelas. Fière de mon jeu je collai lentement Maradona et Klinsmann. Il ne restait que quelques heures avant que les deux légendes s’affrontent. Les Allemands l’emportèrent. Quelques minutes après le match une Renault 18 noire passa devant la Boulangerie Giscard Salloum pour provoquer Saydeh qui lui jurait au nom de Maradona. Ne supportant pas leurs provocations il sortit son Colt 12 et les finit calmement un après un. Une histoire de politique ou bien un match de football. Rien de tout cela. Une ancienne vendetta masquée par les tensions politiques m’expliqua Le Flambeur.

*Pile ou face

**Fils de pute

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Jad Abdallah

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